"Tout ce que nous disons, que nous ne sachions le dire ou que nous croyions le dire, est au service de l'inconnu qui fait signe en nous. C'est cet inconnu qui est en nous plus que nous que Socrate se mit à appeler daimôn. Sur le Dieu de Socrate veut dire : Du Dieu inconnu. De deo Socratis veut dire : De deo ignoto.
J'ignore ce que je fais. Je ne comprends pas clairement ce que je suis en train d'écrire. J'hésite devant ce que je rêve. Je sais aussi ne pas savoir. Un démon inconnu me parle. Quelque chose se tient parfois au-dessus de mon épaule. J'entends des voix qui n'ont jamais existé et je les note. Je ne puis renoncer à ces visitations qui me laissent toujours plus seul et qui m'éloignent toujours davantage des dieux de la cité."
(Pascal Quignard)
D'Apulée, l'on connaît son oeuvre la plus remarquable, à savoir Les Métamorphoses (autrement appelée L'âne d'or). Mais l'on connait moins les autres textes parvenus à nous, notamment Le démon de Socrate (De deo Socratis), que les éditions Rivages Payot & Rivages ont mis à l'honneur dans ce petit ouvrage au nom et à la couverture fort mystérieux.
Soyons honnêtes dès le départ : je ne suis pas ressorti particulièrement stupéfait de ma lecture. Cette dernière est ardue et parfois laborieuse, le sujet vraiment étrange, le texte en lui-même est extrêmement court (à peine 50 pages, en grande police !) pour un prix qui peut paraître au premier regard plutôt cher (7,15€ pour à peine 100 pages et une heure de lecture). MAIS vous verrez qu'il ne faut absolument se laisser dominer par sa première impression, parce que cet ouvrage se révèle beaucoup plus précieux qu'il n'y paraît ! :)
LE PRODUIT
Je n'ai pas grand chose à redire sur le produit en lui-même, car je trouve tous les ouvrages de cette collection vraiment beaux et pratiques. J'aime beaucoup le concept du "Un livre, une oeuvre intégrale", cela permet de ne pas se perdre dans des anthologies de plus de 600 pages... Ici, la couverture peut paraître un peu étrange au premier regard, mais correspond parfaitement au thème de l'oeuvre : une femme avec, juste derrière, un ange qui la regarde, et qui semble être son ange-gardien... voilà qui promet !
Le livre est très court (110 pages) et est divisé en deux parties : une préface surprenante (pour ne pas dire un peu loufoque) et très réussie de Pascal Quignard (Petit traité sur les Anges), qui occupe la moitié de l'ouvrage ; et le texte en lui-même, qui occupe l'autre moitié. Alors oui, je vous vois venir : "7€ pour 50 pages de texte avec une grande police d'écriture, cela fait cher !" Mais je vous répondrai : "Attendez ! 7€ pour une préface de cette qualité et un texte aussi original qu'unique dans la littérature latine, c'est au contraire une opportunité magnifique !". Comme quoi, c'est juste une question de façon de voir les choses...
LE CONTENU
Cette partie est frappée par un contraste vraiment étrange : d'un côté, le texte est difficile, parfois lourd et nous laisse franchement songeur à la fin , mais de l'autre, il s'agit d'un ouvrage très précieux, qui constitue le seul grand traité de l’Antiquité sur la démonologie, parvenu jusqu'à nous. Alors oui, je peux comprendre que beaucoup n'y trouveront rien de bien extraordinaire, mais moi, je pense que cet ouvrage est précieux sur plusieurs points, notamment sur un fondamental : le concept de daimon. En effet, Apulée nous parle des dieux classiques, des Hommes, puis (et surtout) d'une classe de dieux dites "intermédiaires" entre les Hommes et les dieux.
"Platon a classé les êtres supérieurs répartis dans toute la nature en trois catégories et il a situé les dieux tout en haut. Le haut, le milieu et le bas font référence à une répartition dans l’espace mais aussi à une hiérarchies naturelle, elle-même établie suivant plusieurs critères."
"Vous connaissez pour le moment deux catégories d'êtres animés : les dieux se distinguent nettement des hommes par leur séjour élevé, par leur vie éternelle, par leur nature achevée, par une absence de relation personnelle avec les hommes tant il est vrai qu'une grande différence de niveau sépare les demeures les plus élevées des plus basses."
On nous parle donc d'un côté des dieux suprêmes que nous connaissons tous (Pluton, Jupiter, Vénus, Mars,...), et de l'autre des Hommes, sans aucun vrai liant entre les deux. Mais lisez donc ce qui va suivre :
"D'ailleurs, il existe des puissance divines intermédiaires qui résident dans un espace aérien situé entre l'éther, tout en haut, et la terre, tout en bas, et grâce auxquelles nos requêtes mais aussi nos mérites parviennent jusqu'aux dieux. Les Grecs leur donnent le nom de "démons"."
WOUAH ! Là, tout est dit ! Vous rendez-vous compte de la puissance de cette phrase ? C'est tout l’intérêt de cet ouvrage ! Je ne vous en dirai bien entendu pas trop, mais sachez qu'Apulée va nous définir là ce qui s'apparente pour nous comme l'Ange gardien, et cela est plutôt fascinant venant d'un texte aussi ancien.
Une dernière citation pour finir :
"Ce démon dont je parle, gardien privé, préfet personnel, garde du corps familier, curateur particulier, garant intime, observateur infatigable, témoin inévitable, réprobateur quand nous agissons mal, approbateur quand nous agissons bien, si nous lui accordons l'attention qu'il requiert [...], nous offre sa prévoyance dans les situations incertaines, ses conseils dans les situations difficiles, sa protection dans le danger, son assistance dans la détresse [...]".
Je suis désolé, mais moi, personnellement, je reste bouche bée devant de tels propos. J'espère que je vous aurai donné envie d'y jeter un coup d’œil :)
En conclusion, prenez le temps de lire cet ouvrage et de lui donner une chance, parce que pense qu'il le mérité pleinement. Alors oui, tout ne sera pas facile et surement que vous vous ennuierez par moment, mais sachez que Le démon de Socrate n'est définitivement pas un texte comme les autres. Quant à l'audace des éditions Payot, je ne peux que la féliciter : un texte original en version intégrale, très court, qui se lit trèèès rapidement, et qui nous fait réfléchir grandement. Hélas, impossible de mettre une note plus forte, parce que le risque de ne pas aimer est trop grand pour une personne lambda...
- 110 pages pour 7€, avec une préface qui prend déjà la moitié à elle toute seule !! Je peux comprendre que cela puisse paraître cher pour certains...
- Texte difficile pour le néophyte, qui laisse une étrange sensation.
- La préface de Pascal Quignard, vraiment surprenante et pleine de fraîcheur ! Elle mériterait presque l'achat du livre à elle toute seule !
- Texte très court, avec une grande police, qui fait du bien pour ce genre de contenu.
- La qualité de l'édition pour un texte si peu "connu" du grand public.
- Le contenu du texte, vraiment intéressant et unique dans la littérature latine. On peut se foutre de moi, mais c'est qu'il m'a intrigué cet Apulée avec cet ouvrage...
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