Dire que je connais absolument tout de Jean de La Fontaine (1621-1695) serait vous mentir, mais j’estime cependant en connaître suffisamment sur lui pour pouvoir vous en parler sérieusement.
Qui n’a jamais lu une de ses célèbres fables ? Qui ne connaît pas La Cigale et la Fourmi, Le Lièvre et la Tortue, ou encore Le Loup et l’Agneau ? Ainsi, quand s’est présentée à moi l’opportunité de chroniquer un nouvel ouvrage sur ce magnifique auteur, qui plus est écrit par Jean-Michel Delacomptée (qui n’est pas un débutant, loin de là !), vous imaginez bien que j’ai été particulièrement emballée. Cet ouvrage,c’est Jean de La Fontaine, portrait d’un pommier en fleur (2023), et je vais vous en parler rapidement, si vous le voulez bien.
Je ne parlerais pas ici de la couverture ni de l’objet en soi (comme j’en ai l’habitude), ne s’agissant pas d’un roman ; ainsi, tout l’intérêt de ce genre d’ouvrage reste, selon moi, à l’intérieur, l’extérieur se contentant d’être sobre mais efficace, ce que je comprends parfaitement. Par contre, laissez-moi vous parler quelques instants de l’auteur, Jean-Michel Delacomptée, grand habitué des portraits littéraires, dont j’avais déjà lu deux ouvrages avant celui-ci, à savoir Et qu’un seul soit l’ami (1995) et La Bruyère, portrait de nous-mêmes (2022). J’avais déjà particulièrement aimé son écriture lors des deux lectures précédentes, et j’ai retrouvé cette même sensation agréable dans ce nouvel ouvrage, notamment dans son premier chapitre, Une rencontre pour se mettre en bouche, qui lance parfaitement le livre : les phrases sont courtes, le style est épuré, mais les mots sont toujours savamment bien choisis, et on ne se lasse pas de le lire. Bref, M. Delacomptée a déjà écrit sur Racine, sur Montaigne, sur La Bruyère, sur Bossuet : voilà qu’il écrit sur La Fontaine, en toute logique !
Alors, que propose cet ouvrage dans son ensemble ? À la première lecture, le titre laisse songeur : quel rapport peut-il y avoir entre La Fontaine et un « pommier en fleur » ? Et puis tout s’explique dès la lecture de l’exergue, tout devient clair. Les chapitres s’enchaînent rapidement, sans ennui ni décrochage, et voilà que j’apprends rapidement des choses sur cet homme, malgré une certaine culture à son égard : je le savais héritier d’un Ésope ou d’un Phèdre ; je savais qu’il s’était grandement inspiré d’eux pour remettre ces fables au goût de son siècle ; je savais qu’il avait composé des centaines de fables entre 1668 et 1693 (en plus de contes, de poèmes, de pièces de théâtres, et autres) ; je savais qu’il avait connu la célébrité tardivement ; et je savais qu’il paraissait pour un homme singulier pour ses contemporains.
Par contre, j’ai découvert peu à peu un poète mystérieux, rêveur, séducteur, qui ne portait pas les enfants dans son cœur (ses fables étant réservées originellement à un public adulte malgré ce que l’on pense aujourd’hui) ; un La Fontaine travailleur, pointilleux,consciencieux, qui avait un besoin vital de composer des vers (« Je mourrais d’ennui si je ne composais plus. ») ; enfin, un La Fontaine qui souffrait d’un trouble de l’humeur (la théorie avancée par l’auteur laisse un peu songeur, mais demeure intéressante), assez froid, très franc, peu bavard, détaché, «original dans son genre », doté d’un regard éteint, qui se qualifiait lui-même de « paresseux », gros dormeur et accroc aux jeux au point de se ruiner. Bref, on se rend compte qu’il s’agissait d’un sacré bonhomme, avec ses (gros) défauts et ses (grosses) qualités, qui était aimé de son entourage malgré le peu de considérations littéraires que son époque portait à l’Art de la fable.
Ayez bien conscience que La Fontaine a vécu durant le Grand siècle français, contemporain de grands noms comme La Bruyère,Boileau, Fouquet, Quinault, Molière, Bossuet, Racine, Lully, Corneille ou encore Charles Perrault, et qu’il n’avait pas spécialement les faveurs du Roi-Soleil ! Avoir su s’imposer entre tant de grands noms (avec toute la concurrence horrible qu’on peut imaginer), sans l’admiration du Roi, sans aucune pension de sa part, et essentiellement en tant que fabuliste, relève presque du miracle ! C’est cela, le talent.
Il me semble inapproprié de voir cet ouvrage comme une énième biographie de La Fontaine ; je pense que l’auteur n’a pas écrit ce livre comme une biographie mais, comme le titre l’indique, un portrait du poète, des plus intéressants. Ainsi, certains aspects de sa vie sont oubliés ou alors rapidement expédiés, pour se concentrer sur des points bien précis et bien plus développés de son existence. Cela est quelque chose qui me plaît et qui a permis à l’auteur d’écrire un ouvrage de moins de 200 pages (dans une société où les grands lecteurs se font rares) tout en restant frais et accrocheur, faisant de ce livre une parfaite introduction pour la lecture d’une éventuelle biographie complète, sous la forme d’un pavé austère, comme cela est, hélas, bien trop souvent le cas.
Je terminerais avec cette phrase de l’auteur, qui m’a particulièrement plu : « Que la société où nous sommes, à l’esprit embourbé dans le divertissement le plus écervelé et le matérialisme le plus réfrigérant, ressente toujours le besoin de jouissances poétiques prouve que, décidément, le vide ne suffit pas pour vivre. » Mais oui, M. Delacomptée, ne vous inquiétez pas : Jean de La Fontaine est immortel, à jamais dans nos consciences, et je m’en vais d’ailleurs de ce pas relire quelques fables écrites de ses mains si talentueuses ! Votre ouvrage est franchement réussi, et votre démarche est salutaire. Une bien bonne lecture. Si je devais émettre juste une petite critique (qui peut avoir son importance), je dirais que le prix est, en mon sens, un peu excessif pour une couverture sobre et un ensemble de moins de 200 pages :18,50 € pour la version brochée ; 12,99 € pour la version dématérialisée ! Mais peut-être est-ce moi qui ne comprends plus les nouveaux tarifs appliqués dans le monde du livre...
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